« Si Dieu n’existait pas, comment serait le monde aujourd’hui ? » — Union des Réseaux Congréganistes de l'Enseignement Catholique

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« Si Dieu n’existait pas, comment serait le monde aujourd’hui ? »

À partir de son expérience d’adjointe en pastorale, Agnès Charlemagne a bâti une « pédagogie de la spiritualité ». Elle la partage aujourd’hui dans des diocèses, mouvements et établissements scolaires catholiques, désireux eux aussi de stimuler la prise de parole des jeunes sur la foi.

Gabriel a allumé la bougie, placée à côté de la Bible au centre de la classe, et la discussion s’engage autour de messages écrits par des adolescents (1). Samantha lit le premier : « Les questions où on peut pas répondre, on s’en fout. Dieu m’a déçu pour tout. Il n’existe pas. Les gens font n’importe quoi car ils n’ont pas trouvé de sens à sa vie » (sic).

« Je suis à moitié d’accord, réagit aussitôt sa voisine. Certaines personnes sont carrées et savent faire quelque chose de leur vie, mais parfois c’est le destin. Certains le trouvent, d’autres non. » Pour Hugo, il y aurait plutôt « des choix » qui donneraient « une direction » à la vie. Comme plusieurs de ses camarades, il hésite toutefois sur la place à laisser à la liberté dans sa manière de conduire sa vie : « Le sens, pour moi, c’est une obligation que je dois suivre. »

Pour ces élèves de troisième de l’Institut Notre-Dame à Chartres (Eure-et-Loir), cet atelier qui suit la méthode « T’es où ? » est une découverte. De fil en aiguille, guidée par Agnès Charlemagne, leur discussion se poursuit autour de l’« intériorité », s’enrichit, rebondit parfois de manière inattendue.

Sarah, qui « croit de moins en moins », même si elle a « tout fait, baptême, confirmation, etc. », s’étonne de la violence du premier message : « On dirait que celui qui a écrit ça a de la haine en lui. Est-ce parce que ses parents l’ont forcé ? »Les positions évoluent, parfois grâce aux relances de l’animatrice, sous forme de questions ou de citations de saint Augustin comme du Dalaï Lama. Les cinquante minutes de la séance se sont déjà écoulées. Non sans mal, les adolescents prennent une minute de silence, avant d’écrire à leur tour une phrase piochée au hasard de leurs échanges et qui alimentera de futures discussions.

Leur professeure principale, elle, n’en revient pas : « Je ne les connaissais pas comme ça ! Certains cachent bien leur jeu mais ont une vraie profondeur. » Déjà repartis pour un cours de mathématiques ou d’histoire-géographie, ils ont laissé quelques traces étincelantes de leurs réflexions sur Dieu ou le sens de la vie. « Tout le monde parle de Dieu mais si Dieu n’existait pas, comment serait le monde aujourd’hui ? », s’interroge l’un, qui aimerait « un autre atelier car c’est bien de voir ce que tout le monde pense ».

Certaines phrases font mal. « Je ne pense pas que Dieu existe car s’il existait pourquoi et quel intérêt aurait-il à me faire autant de mal ? », a écrit une adolescente. « Je ne sais pas si la religion, je la porte dans mon cœur ou (si) c’est une habitude », résume une autre, qui avoue croire « en Dieu mais pas autant que (ses) parents » et qui voit dans cet atelier « un moyen de s’exprimer librement et de choses importantes »…

Depuis qu’elle a accepté, sans savoir trop comment s’y prendre, de devenir catéchète à Marseille, puis finalement adjointe en pastorale au collège, Agnès Charlemagne ne cesse de s’émerveiller de l’infinie richesse spirituelle des adolescents. Des trésors bien cachés, certes, puisqu’ils sont à « l’âge de l’auto-censure maximale », mais bien réels.

Le lendemain, les animateurs en pastorale et catéchistes du diocèse avec lesquels elle est venue partager sa méthode à la demande de la direction diocésaine de l’enseignement catholique, n’en reviennent pas  : les auteurs de ces messages en forme de pépites – qu’Agnès Charlemagne consigne précieusement en les anonymisant – sont-ils vraiment « leurs » élèves, qui affichent le plus souvent l’ennui ou le plus parfait désintérêt ?

« La seule chose que nous ayons à faire est de les aider de passer de l’extérieur à l’intérieur », assure la formatrice. « La méthode ”T’es où ?” est celle que j’ai mise au point mais chacun peut trouver la sienne pour transpercer cette fine membrane qui ressemble parfois à un mur de Berlin. »

À observer et à écouter les animateurs en pastorale du diocèse, prêtres, religieuses ou laïcs de tous âges, la méthode séduit et bouscule à la fois. Le diocèse de Chartres, dans lequel ils ont accepté la lourde charge de« transmettre » la foi, est comme beaucoup d’autres : certains établissements catholiques sont fréquentés par « les familles pratiquantes », d’autres beaucoup moins et les paroisses reçoivent elles aussi au « caté », un public de plus en plus hétéroclite.

« Je ne me souviens absolument plus de l’enseignement religieux que j’ai reçu, mais seulement des bons moments passés à l’aumônerie. Comment faire pour que les jeunes n’aient pas honte de parler de spiritualité en dehors de ce lieu ? », s’interroge une jeune animatrice.

« C’est confortable d’être dans une foi installée, de ne plus se poser de questions, avoue une catéchète. Mais, du coup, quand on dit aux jeunes qu’on “cherche Dieu ensemble”, ce n’est pas vraiment ce qu’on fait. » D’autres redouteraient plutôt un certain « relativisme ». « Comme tout flotte autour d’eux, les enfants ont besoin d’une réponse », avance une participante.

Pour Agnès Charlemagne, la réponse est... dans l’Évangile, que ce soit dans l’échange de Jésus avec les disciples d’Emmaüs ou dans son invitation chez Zachée. « Si vous avez eu envie de poursuivre sur ce chemin, c’est que quelqu’un a compris que la relation était plus importante que le contenu à transmettre », souligne-t-elle. Elle invite les animateurs à garder leur liberté par rapport aux « programmes » trop bien fixés, mais aussi à se constituer un classeur avec des textes bibliques, articles, poèmes ou images qui les ont touchés et qui les aideront à nourrir un échange, voire à reprendre une question laissée en suspens.

« Répondre à une question, c’est mettre un couvercle dessus, ajoute-t-elle. Mieux vaut d’abord souligner combien il est “formidable” que ce jeune se la pose, demander aux autres s’ils ont leur réponse et glisser un éclairage dans un inter­stice de la discussion. Les jeunes se rendent compte ainsi de la pluralité des opinions et des représentations sur Dieu. »

Et plus besoin de séparer « croyants » et « non-croyants ». Cette distinction, Agnès Charlemagne n’y croit guère depuis qu’elle recueille des messages qui la transcendent. « Dieu, je n’y crois pas, mais on peut le remplacer par rien d’autre en fait », a écrit un jour un petit Marseillais. « Je ne crois pas trop en Dieu. Je ne suis pas sûre qu’il existe mais je prie et je lui parle », a ajouté un autre.

Anne-Bénédicte Hoffner, à Chartres (Eure-et-Loir) Article de La Croix du 7 avril 2019